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Lettre ouverte aux personnes valides

Lettre ouverte aux personnes valides (personnes n’ayant aucun handicap ni aucune dysfonction physique ou sensorielle)

J’écris cette lettre parce qu’étant depuis 2 ans hémiplégique à gauche membres inférieur et supérieur suite à un AVC hémorragique ayant lésé assez sévèrement l’hémisphère droit de mon cerveau, je me retrouve dans la catégorie des « handicapés », classé officiellement et formellement dans la catégorie (définie par l’Administration) des travailleurs handicapés à 80% (certificats et cartes délivrés gracieuseusement MAIS lentement par la MDPH Maison départementale des personnes handicapées.

Mais comme beaucoup d’autres dans mon cas je préfère la dénomination de personne en situation de handicap.

En effet je ne me sens ni malade d’une maladie chronique ou incurable, handicapante comme ceux qui ont une SEP (Sclérose en Plaques) et d’ailleurs même dans ce dernier cas l’appellation d’handicapé n’est peut-être pas si adéquate, en effet les progrès scientifiques telles les thérapies géniques en forte évolution notamment avec le CRISP’R +cas9 (mais pourquoi Emmanuelle Charpentier n’est pas prix Nobel ?) pourraient apporter un remède à ce type de maladie invalidante dite incurable.

Vous comprenez donc que je souhaiterai qu’on réserve la qualification d’handicapé à une situation pérenne ou définitive. Sinon il ne s’agit que d’une situation temporaire, plus ou moins longue, dans laquelle un personne souffre de handicap dans sa vie quotidienne.

Mais que signifie handicap ? Par exemple, personnellement, je souffre du handicap le plus reconnu : celui lié à la marche, je ne peux marcher normalement car ma jambe gauche n’est plus contrôlée efficacement par mon cerveau donc par ma volonté. Rappelons que par nature et le miracle de la programmation génétique codée dans notre ADN, c’est l’hémisphère droit qui contrôle notre hémicorps gauche, c’est ainsi chez tous les êtres humains génétiquement conformes à l’espèce « homo sapiens » peuplant la planète Terre (on parlera plus tard des bâtards de handicapés martiens qui veulent envahir la Terre sauf s’il m’amènent un fauteuil volant commandé par la pensée).

Pour cela (pour établir ce contrôle), mon cerveau et mes hémicorps ont appris à « dialoguer » et cette coordination entre mon hémicorps gauche et mon cerveau droit, il a fallu plusieurs années d’apprentissage et d’entraînement pour qu’une zone précise et délimitée de mon cerveau droit envoie sur les bons fils (les nerfs), les bonnes impulsions à destination des nombreux et puissants muscles contrôlant l’articulation entre ma cuisse et ma jambe en même temps et en bonne synchronisation avec les muscles contrôlant l’articulation complexe (la cheville) reliant mon pied à ma jambe tout cela pour permettre d’initier un décollage de mon pied au-dessus du sol afin de pouvoir le poser un peu plus loin en avant ( je vous passe tout ce qu’il reste à faire pour faire un pas en avant : avancée de la hanche gauche, tension de la jambe, blocage du genou, pose du pied, contrôle de la cheville pour avoir un pied bien à plat éventuellement après analyse par le cerveau des informations transmises par le pied (présence d’une irrégularité du sol, dévers, pente, caillou, matière molle, etc.

Pour pouvoir assurer un bon appui, puis une fois cet appui assuré, transfert du poids, maintien en équilibre sur la jambe gauche, transfert en avant du corps puis décollage pied droit (à partir de là c’est le cerveau gauche qui commande) etc. avancement du pied droit, pose du pied, transfert du poids et bis repetita, et on devine qu’une zone du cerveau probablement au centre tel le cortex frontal doit s’occuper de la coordination droite gauche.

Je vous rappelle qu’il a fallu à vous comme à moi, plus d’une longue année d’apprentissage entre ma naissance et mon premier anniversaire pour pouvoir accomplir cette chose qui parait si simple pourtant : MARCHER.

Combien de chutes de pleurs, de genoux écorchés, d’encouragement des parents, de ruses et d’astuces (pour ma fille on a utilisé une banane en carotte pour la faire marcher) pour mettre en place toutes ces actions et les perfectionner au point de pouvoir courir sauter, marcher en ligne droite, au pas cadencé, à la montagne, sur du sable, dans la neige, dans une forêt, sur une digue de rochers, dans un champ de bataille sous la mitraille et en tirant…

Et bien tout cela peut disparaitre, être effacé en quelques instants, une veine qui se déchire sous une pression sanguine trop élevée, un petit caillot de matière organique qui vient obstruer un tout petit vaisseau sanguin et voilà des millions de cellules neuronales asphyxiées et définitivement détruites emportant avec elles toutes ces années d’apprentissages, tous ces souvenirs de courses endiablées dans les prés, de saute-mouton, de chats-perchés, de victoires sur les pistes des stades, de galipettes amoureuses, d’ashi-waza sur tatami (ô o soto gari et uchimata disparus), fini le rock and roll maintenant c’est roll wheel-chair ou reste allongé.

Et me voilà soudain dans un fauteuil roulant pas très confortable, difficile à maîtriser, mais on y est 16 heures par jour alors on s’y fait, il devient votre meilleur ami et est le signe extérieur bien visible de votre handicap. A partir de là votre monde change. Le monde autour de vous va vous définir à partir de ce fauteuil métallique, on va l’aimer et le détester. L’aimer car il va être le premier instrument de votre AUTONOMIE : dès qu’on apprend à se transférer du lit vers le fauteuil puis du fauteuil vers une autre assise, on peut enfin et en général décider tout seul d’aller pisser, ce qui est beaucoup plus important qu’on peut le penser tant qu’on n’a pas vécu cela. Le détester car à chaque petit obstacle sur votre route il sera l’instrument hyper-visible de votre dépendance aux autres : besoin d’une poussette sur une rampe un peu trop raide, d’un coup de rein pour soulever de 2cm, les roues avant pour passer une marche un peu trop haute, d’un coup de main pour attraper le paquet sur l’étagère du haut, d’un coup d’index pour appuyer sur le digicode, d’un coup de gueule pour qu’on demande dans la boutique « Qui a garé sa voiture sur le trottoir , merci de la bouger ! ».(« connard » !» !). Oui détester car les PMR (personnes à mobilité réduite i.e. en fauteuil roulant en général) doivent arriver une heure avant les autres à l’aéroport pour « bénéficier d’une assistance » pour ne pas déranger les autres, ni gêner la routine des procédures faites pour les «valides », ou pour prendre les cheminements dits accessibles (là où ça roule), par exemple le chemin des poubelles (handicapé= déchet humain non ?) ou des marchandises par les quais extérieurs de livraison (finalement un fauteuil c’est un chariot à viande !)

Mais on va l’aimer de plus en plus ce fauteuil car on va le dompter, on va le décorer, l’améliorer d’un coussin anatomique, d’un meilleur dossier, (back move d’evom.eu), on va trouver un poncho adapté chez Constant & Zoé qui nous garde au chaud (merci Sarah J).

Et c’est à ce stade que je voudrais cher ami lecteur, que vous compreniez la différence entre autonomie et dépendance, en simplifiant je dirais que l’autonomie c’est la capacité à décider au bon moment de ce qu’on doit faire. Par exemple vouloir aller aux toilettes quand c’est nécessaire.

La dépendance c’est l’incapacité de faire seul une chose qu’on doit faire par exemple ne pas pouvoir se transférer seul de son fauteuil roulant vers le siège des toilettes ou pire, ne pas pouvoir s’essuyer seul alors qu’on a su en toute autonomie et indépendance aller se mettre sur les toilettes quand le besoin s’en est fait sentir.

Je pense que j’ai assez expliqué pour que vous compreniez que l’autonomie c’est dans la tête, c’est psychologique et donc très sensible et que la dépendance c’est plus mécanique et plus simple à comprendre et à accepter. Le problème c’est que les deux sont liés. Par exemple il m’est arrivé de dire « non! » à l’infirmière pourtant très gentille qui me demandait si je voulais aller aux toilettes et d’y aller juste après son départ de la chambre puis de tirer la sonnette pour la faire revenir pour qu’elle m’aide à me transférer. J’avais dit non pas par méchanceté ni bêtise, non comme le répète avec drôlerie Virginie Hocq dans un sketch « handicapé oui mais pas méchant » en fait c’est juste que dans l’état de désespoir où j’étais de me découvrir hémiplégique complet à gauche (aucun mouvement, aucune sensation), j’avais besoin de me sentir vivant à travers l’autonomie de décision. C’était déjà trop dur de découvrir ma dépendance dans des actes aussi fondamentaux et basiques comme d’aller aux toilettes qu’il m’était insupportable de m’imaginer non autonome sur cet aspect si intime de la vie et donc éventuellement de penser que je pouvais être incontinent.

Si mon épouse m’avait posé la question au même moment j’aurais dit oui car après 35 ans de vie commune, pisser devant elle c’est comme à la maison ! 😉

Voilà pourquoi parfois quand vous voyez galérer une PMR dans son fauteuil devant une porte lourde et qu’il faut tirer pour entrer et que vous proposez votre aide, elle vous rembarre car elle peut le faire seule et la satisfaction de pouvoir entrer et sortir d’un lieu comme tout un chacun est bien plus importante que de trouver une personne sympathique pour vous soulager d’un effort de quelques secondes. Ce n’est pas de la méchanceté (handicapé mais pas méchant ! ;).

Voilà ce que je voulais vous dire pour que le fossé entre valides et personnes en situation de handicap ne se creuse pas. Et comme vous avez fait l’effort de me lire jusqu’ici c’est que vous avez le cœur à combler ce fossé contrairement à l’action de nos dirigeants d’état, de municipalité ou autres qui sont bien trop souvent assez minables sur le sujet. Je vous invite à chercher la différence entre compassion et pitié et entre bienveillance et compassion, pour moi la bienveillance c’est le top. Lire de la pitié dans le regard des autres me renvoie trop d’images négatives et cela m’embarrasse plus que cela m’aide, trop de compassion à mon égard me gêne également car je veux m’en sortir, être handicapé n’est pas un état souhaitable, la compassion renvoie à ma dépendance.

La bienveillance me réchauffe le cœur car je veux qu’on voie tout ce que je suis capable de faire y compris des bêtises ou des erreurs. La bienveillance c’est de tolérer que je puisse faire des erreurs notamment du fait de mon handicap et éventuellement m’aider à les corriger ou à les surpasser donc de toujours avancer, je suis handicapé mais vivant : tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort alors laisser moi aller à cette étape « plus fort » merci.